DELARUE-MARDRUS (Lucie).
Née à Honfleur. 1874-1945.
Romancière et poétesse. Épouse de l’orientaliste Charles Mardrus, le traducteur des Mille et une Nuits. Amie de Colette.
L.A. à « Nounette Nounette » [Valentine Ovize]. Paris, 9 juillet 1933.
4 pages grand in-4, gravé à son adresse « 17 quai Voltaire, VIIe ».
Belle et rare lettre à son amante Valentine Ovize : très jalouse de Lucie Delarue-Mardrus, Valentine Ovize a pris ombrage de l’amitié portée par Lucie à Germaine de Castro...
...Il y a déjà quelques temps qu’à mon tour je devine des choses. Votre petite figure d’aujourd’hui me fait craindre que nous ne recommencions à vivre dans l’atmosphère irrespirable déjà connue voici deux ans...
Je tiens donc à mettre nettement et tendrement les choses au point. Vous voyez de mauvais œil que je fréquente G. de C. [Germaine de Castro] (...). Pourquoi le fait que je la voie vous incommode-t-il ? Vous devez être la première à comprendre qu’elle m’intéresse pour plus d’une raison : son art, son passé chargé de choses, sa belle humeur, son atmosphère de bohême courageuse qui se débat comme elle peut, et assez fièrement au milieu des difficultés de la vie. Je ne vois rien en elle qui puisse déplaire à quelqu’un dont les idées sont larges et qui n’en est pas aux étonnements bourgeois devant les manières d’être inconventionnelles d’une musicienne de profession...
Rappelez-vous de quelle façon j’ai accueilli Regina (dont le genre valait pour le moins celui de G. de C.) et que vous avez, à mon nez, reçue chez vous, alors que j’avais quelques raisons que vous n’avez plus d’en prendre ombrage. (...), j’ai pris part avec bonne grâce aux jeux et gaietés auxquels vous m’avez convié quand elle était votre favorite. Il serait tout naturel que vous me rendiez la pareille, que vous considériez le séjour de G. de C. chez moi comme un agrément pour cet été (...). Mais je vois bien que, déjà, vous prenez une attitude hostile, et je suis peinée de voir qu’au lieu de vous réjouir d’un peu de distraction pour le Petit L’Ami, vous vous apprêtez à sortir vos griffes et à cracher... Elle la sermonne : ...Ce n’est pas amical, cela manque d’élégance, c’est petit, Nounette. Je vous supplie de réfléchir un instant, d’appeler à vous l’esprit de justice et l’esprit d’amitié. Ne me gâtez pas mon été par une attitude mesquine. Soyez bon enfant, soyez gentille. Vous savez bien que ma tendresse pour vous est indéfectible, vous qui avez tout fait pour la démolir. Alors ?... Un mot de réponse, quand vous voudrez...
Lucie Delarue-Mardrus, est une poétesse, romancière, sculptrice, dessinatrice, journaliste et historienne. Ses parents ayant refusé sa main au capitaine Philippe Pétain, elle épouse l’orientaliste Joseph-Charles Mardrus. Mais ses relations saphiques l’obligent au divorce en 1915. Lucie Delarue-Mardrus fut notamment liée à Natalie Barney, Romaine Brooks et Germaine de Castro, dont il est question dans cette lettre.
Valentine Ovize dite Chattie avait aidé Lucie Delarue-Mardrus à surmonter ses difficultés et son divorce. Lucie l'emmenait partout avec elle, au gré de ses conférences et de ses voyages, jusqu’à ce que la poétesse rencontre Germaine de Castro, une artiste lyrique, interprète de Schubert, Fauré, Debussy, et se sépare de Chattie devenue trop jalouse de sa nouvelle idylle.