SARTRE (Jean-Paul).
Né à Paris. 1905-1980.
Philosophe, écrivain et dramaturge.
S.l.n.d. (années 1950). 1 page in-folio sur papier à carreaux.
...Pour qu’il puisse se sentir intégré dans une entreprise collective ou pour qu’il découvre dans l’amertume son délaissement, il faut que son rapport à autrui le constitue dans sa réalité même. Ici encore, si j’arrête l’enquête, tout se fige en idéalisme. De fait, si je pense aux deux milliards d’hommes qui m’ignorent, j’ai peine à croire que mon rapport à eux soit une réalité actuelle ; je serai tenté de le concevoir plutôt sous la forme d’une pure possibilité abstraite ; d’une sorte « d’ouverture à l’autre » qui se réaliserait dans certains cas particuliers. Mais si je fais de cette « ouverture » une virtualité en moi, je l’enferme dans ma « nature » comme dans un coffret et cette disposition intérieure, d’ailleurs sans fondement, n’est plus qu’une qualité subjective ; les « substances » demeurent isolées ; j’ai cru abandonner le solipsisme moléculaire mais, en fait, je n’ai pas quitté l’idéalisme de la virtualité ; je reste au niveau d’une certaine idéologie chrétienne qui confond les impératifs moraux avec les relations vécues ; cela revient à considérer l’humanité comme un genre et non comme un processus en voie de développement, l’individu comme l’exemplification d’un concept universel et non comme un moment de l’aventure en cours. [Ainsi à différents niveaux de profondeur, nous avons vu la matérialité séparer les hommes et, comme condition même de cette séparation, les unir ; à tous les niveaux, nous avons pressenti cette relation, fondamentale qui, à travers la matière, rejoint l’homme concret, historique à son contemporain et, chaque fois que nous avons voulu la fixer, elle nous a échappé. Nous sommes encore bien loin d’avoir achevé notre régression analytique. Mais nous ne pouvons plus rien comprendre aux contradictions de la matérialité si nous ne parvenons d’abord à expliciter le sens originel et constitutif de la relation humaine. Nous]...