SARTRE (Jean-Paul)
Né à Paris. 1905-1980.
Agrégé de philosophie. Écrivain, dramaturge et philosophe français. Personnalité majeure de la vie intellectuelle française dans les années 60.
L.A.S. « J.P. Sartre » à « Mon amour » [Mlle Wanda Kosakiewicz ].
S.l., [Morsbronn, Alsace], 11 janvier [1940].
2 pages 1/2 in-4 sur papier à carreaux (encre céruléenne).
…Ainsi tu es restée deux jours sans m’écrire, mauvaise petite teigne. Mais ce n’est pas de ça que je t’en veux (au fait tu sais, je ne t’en veux de rien du tout, je suis tout en idylle avec toi. C’est d’avoir passé un sombre petit Dimanche et de n’avoir pas songé tout aussitôt à me l’écrire. Rappelle-toi, c’était dans nos conventions. Aussitôt que tu avais le moindre ennui tu devais m’en faire part. Eh, je sais bien que c’était au fond des choses qui ne se disent guère : par exemple que Paris fait sinistre le Dimanche. Mais même ça, ma douce petite lumière, il faut me l’écrire, sinon comment veux-tu que je sois ta sécurité. Est ce que je ne parle pas comme il faut ? Je pense comme toi que la femme lunaire [Marie Ville] est une drôle de personne dans le genre du héros du Voyage au bout de la nui [premier roman de Louis-Ferdinand Céline], qui a toujours envie de s’agiter et d’aller au bout de quelque chose, tu m’as fait rire l’autre jour en me disant qu’elle voulait être une lionne d’après guerre, mais je pense qu’elle ne sera rien du tout - et ça vaut mieux parce que finalement c’est terriblement « social » une lionne d’après-guerre, rien du tout qu’elle-même, ce drôle de gros personnage plein de veulerie et d’énergie, de charme et de vulgarité, de bêtise sentencieuse et d’une espèce d’intelligence (...) C’est la première fois que je sens d’une façon concrète que tu penses à moi en dehors des moments où tu m’écris. Ne prends surtout pas ça comme un reproche, mon amour, c’est ma faute et non la tienne, c’est parce que je suis un inquiet (...) Tu m’écris de charmantes petites lettres et je suis au mieux avec toi. Et puis je vais bientôt te voir, je n’ai plus cette accablante impression de distance que j’avais en décembre et qui fut à l’origine de ma crise de passionnel. Et puis peut être je vais aller ensuite à l’arrière du front, en Avril ou en Mai (mais ça n’est pas sûr) et alors je te ferai venir tout un grand mois près de moi ou plus ou tout autant que tu pourras supporter d’être loin de Paris. Je t’aime tant, mon amour. (...) J’écris les histoires pour l’oncle Jules. Ca sera finalement un traité de littérature, j’ai peur que tu n’aimes pas ça du tout. Tu me donneras ton avis quand je viendrai en permission et si ça ne te plait pas bien je cesserai peut-être, tu verras… [Sartre commença la rédaction de l’Etre et le Néant pendant la guerre] ...Aujourd’hui il fait moins quinze et nous n’avons plus de charbon. En ce moment le poêle est éteint mais il reste encore un peu de chaleur, mais demain qu’allons nous faire. Ca m’amuse plutôt de voir ce qui va se passer, comment nous endurrons (sic) ça, ainsi pris au pied du mur…