SARTRE Jean-Paul. Philosophe. Intellectuel engagé. Lettre d'amour à Wanda Kosakiewicz (Réf. G 3429)

SUPERBE LETTRE D’AMOUR À WANDA KOSAKIEWICZ PENDANT LA DRÔLE DE GUERRE

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Référence:
G 3429
Description

SARTRE (Jean-Paul).

Né à Paris. 1905-1980.

Agrégé de philosophie. Écrivain, dramaturge et philosophe français.

Personnalité majeure de la vie intellectuelle française dans les années 60.

L.A.S. « J.P. Sartre » à « Ma douce petite Wanda » [ Wanda Kosakiewicz]. S.l. [Brumath, Alsace], 15 avril [1940].

3 pages 1/2 in-4 sur papier à carreaux.

 

SUPERBE LETTRE D’AMOUR À WANDA KOSAKIEWICZ PENDANT LA DRÔLE DE GUERRE :

 

Sartre se réjouit d’avoir « enfin » reçu sa lettre. Il lui fait part de ses réticences vis-à-vis de « la femme lunaire » [Marie Ville, rencontrée à Berlin en 1934] et lui conseille de la tenir à distance.

Sartre raconte ensuite ses impressions sur la soirée théâtrale de la veille.

 

Extraits :

 

...J’ai enfin reçu aujourd’hui ta charmante petite lettre et je suis bien aise de n’avoir pas râlé, ces jours de silence, je ne saurais plus où me fourrer à présent. Mais pourquoi as tu si peur de te fâcher avec moi ? Si ce n’est pas toi qui te fâche la première, mon cher amour, nous voilà tout bien ensemble pour longtemps. Si tu savais comme au plus profond de mon cœur je me sens incapable de colère ou de rancune après toi, tu n’aurais plus peur de casser des glaces. Elles viennent de te vouer chacune à 7 ans de malheur, total 21 ans. Mais c’est trop. A mon avis il faut tirer au contraire de cette exagération même quelque réconfort et je ne serais pas loin de penser que cela te présage quelque bonheur imminent...

Je suis comme toi, je n’aimais pas trop penser que la femme lunaire va te consacrer des éternités de temps. C’est vrai que tu fais des conneries avec elle. (...), je suis jaloux de toi : je suis jaloux mais pas lorsque tu te saoules et que tu tombes parmi ces infâmes internes des hôpitaux comme l’an dernier (...). Je pense que rien ne peut te salir, petite pureté (...)...

 

 

Samedi soir, j’ai donc été au « théâtre aux Armées ». Je ne te l’écrivais pas hier, parce que je suis comme toi : je tremble comme la feuille d’être brouillé avec toi (mais moi, depuis l’histoire Gibert [Colette Gilbert, une ancienne maîtresse de Sartre], j’ai des raisons d’avoir peur). Ça n’est d’ailleurs qu’un très mince petit événement. On était empilés comme des figues sèches dans un minuscule et austère foyer protestant. Au balcon les officiers, invisibles, sauf de temps à autre, les cheveux blancs du général. En tas nous autres. Pieter [autre soldat, Pieterkowski] et moi nous étions debout sur le côté, nous voyions une mer de calots. Le rideau s’est levé et on a donc vu ces soldats – mon dieu que c’était triste de les voir nous distraire habillés en soldats (...). C’était des professionnels de music-hall dans le civil (...). Le ténor, premier prix du conservatoire de Nancy, un gros joufflu, qui chanta : « Toujours sourire » et « Ne t’aurais-je qu’une fois », avait des trous d’air dans la voix (...). Mais il y avait un assez bon jazz, copié sur celui de Ray Ventura, mais avec des soldats derrière les pancartes de bois qui portent chacune une lettre du nom du Jazz. Ils ont joué deux fox et puis ils ont annoncé deux rumbas. Et comme c’était samedi soir, jour de bal nègre et que on ne m’avait pas écrit depuis deux jours, le cœur m’a tourné de jalousie poétique, je pensais que tu étais en train de danser la rumba avec les nègres, que tu étais dans ton monde nègre, ce mon rougeoyant et sensuel où je ne peux pas te suivre, où tu es seule. Ça m’était presque insupportable d’entendre ces rumbas et pourtant je les trouvais superbes…

C’est que, tu sais, d’ordinaire je pense à toi au passé, ou dans l’avenir ou dans l’éternel. Mais dieu soit loué, je n’ai pas trop le sens de la simultanéité, ça me ferait rugir comme un tigre de m’imaginer que tu es à présent ici ou là. Et là, ces rumbas me la découvraient malgré moi, cette simultanéité. C’est un drôle de truc. Pour moi la jalousie c’est presqu’exclusivement le sens de la simultanéité. Je ne suis d’ailleurs pas trop malheureux d’être jaloux de toi parce qu’il y a quelque chose de violemment sensuel dans ma jalousie (…). Dehors c’était un charme de nuit. Voilà tout, mon amour. Le reste est travail. Je t’en parlerai demain (...).

 

 Je t’aime formidablement, mon amour, je suis tout feutré d’un long désir pour ton cher petit corps, ça ne me quitte pas, je voudrais te revoir, chère petite personne, entendre ta voix et revoir un de tes visages tendres. Je ne t’ai jamais aimé aussi fort…

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